Thème

Mascarades. L’attrait de la métamorphose

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Nous faisons tous·tes l’expérience de l’écart entre ce que nous pensons être et ce que les autres perçoivent en nous. Nous faisons tous·tes l’expérience de la friction entre l’identité qui nous est assignée et celle que nous nous construisons. Nous : c’est-à-dire vous et moi, ainsi que les autres, qu’iels, elles et ils soient humain·e·s ou non. Partant de cette prémisse, MOMENTA 2023 explorera les dynamiques de visibilité et d’invisibilité qui façonnent les représentations de soi et de l’autre. Alors que les individus sont sans cesse fichés, formatés, figés dans du même et de l’identique, voici la question urgente : comment (re)mettre en mouvement nos manières de comprendre les identités et les différences dans l’espace social et dans les expériences intimes de l’altérité ?

La notion de mimétisme sert de moteur principal à l’élaboration de la biennale. Elle désigne l’aptitude à « faire comme » : à imiter (faire pareil), ce qui implique d’abord et avant tout une capacité à se transformer (se dé-faire), en brouillant les frontières qui délimitent les contours des êtres et des choses. de manière transversale, le mimétisme concerne les comportements humains, l’expérience du vivant tout entier (mimétisme animal et végétal), mais aussi la modélisation technologique (mimétisme du machine learning). Il nous situe dans l’entre-deux qui distingue le soi et l’autre, qui les relie et qui les amène à se fondre l’un dans l’autre. Sous le titre Mascarades, c’est précisément le potentiel de métamorphoses inscrit dans cet entre-deux que MOMENTA 2023 souhaite embrasser.

L’image a un rôle décisif à jouer dans ces opérations de mutation, d’exposition et d’occultation, de distinction et de fusion. C’est un support privilégié pour voir, expérimenter et éprouver les images de soi. Le thème mimétique appelle ainsi à l’exploration de la théâtralité et des virtualités du masque, dont les images techniques facilitent et stimulent la performance. En ce sens, une attention particulière sera portée aux lignes mouvantes qui redéfinissent aujourd’hui les gestes d’appropriation et de travestissement : comment se jouent et se déjouent les identités ? Et qui peut (se) jouer du spectacle identitaire ?

Au-delà de sa fonction de représentation, l’image est aussi un agent de la métamorphose mimétique. Faire comme l’autre, se prendre pour un·e autre ou se voir comme un·e autre, c’est soi-même « devenir image ». Dans une réalité qui semble justement dévorée par les images, voilà qui revêt une importance singulière, comme en témoignent les stratégies de camouflage qui ont émergé face à la surveillance institutionnelle et entrepreneuriale généralisée. En conséquence de la revendication d’un droit à l’invisibilité et à l’anonymat, le visage – ce fondement de l’identité – se trouve effacé, remplacé, voire défiguré. Ne serait-ce pas là aussi l’expression d’un désir plus ambigu de « se fondre dans le décor » ?

La disjonction de la perception, notamment visuelle, est au cœur des scénarios mimétiques. Qui regarde qui dans ma rencontre avec un caméléon, un·e inconnu·e, une intelligence artificielle ? qu’en est-il des effets d’étrangeté, d’immersion, d’engloutissement et de vertige, voire d’intoxication, produits par le mimétisme ? La biennale mettra en dialogue des artistes dont les œuvres s’emparent de ces opérateurs d’ambiguïté et d’enchevêtrement des regards. Les expositions actualiseront les enjeux du mimétisme et de l’altération des identités en interrogeant les fonctions de l’image, entre représentation et métamorphose. Au-delà de l’instabilité identitaire ainsi rendue manifeste, de telles expériences intersubjectives ne pourraient-elles pas nous amener à ré-imaginer ce qui fait commun et forme communauté ?

Commissaire : Ji-Yoon Han

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Photo : Anthony Burnham

Ji-Yoon Han vit et travaille à Tiohtià:ke / Mooniyang / Montréal. Volontiers interdisciplinaires, ses projets aspirent à mettre en évidence l’inscription et la pertinence des arts visuels dans des contextes sociaux, culturels et psychiques mouvants. Auparavant commissaire à la Fonderie Darling (2017-2020), elle a organisé des expositions de Cynthia Girard-Renard, Barbara Steinman, Javier González Pesce et Guillaume Adjutor Provost, ainsi qu’un cycle d’activations performatives centré sur l’écoute et les pratiques en art sonore. Elle a contribué à des monographies sur Geneviève Cadieux et Louise Robert. Auteure d’une thèse de doctorat intitulée La métaphore vacante. Concurrence des images entre 1929 et 1936 : photographie, surréalisme, revues, publicité, elle est actuellement chargée de recherches pour la mission « Photographie et commande », avec le soutien des amis du Centre Pompidou, à Paris.