Artistes

Ts̱ēmā Igharas

Ts̱ēmā Igharas (Tāłtān, née à Smithers, Canada ; vit à Vancouver, Canada) s’intéresse à la connexion entre les corps et la terre, questionnant les enjeux liés aux logiques extractivistes à travers des stratégies de résistance et des méthodologies autochtones. Ses œuvres s’articulent souvent autour d’interventions effectuées directement sur le territoire – aussi bien par l’artiste elle-même que par les industries minières. Ts̱ēmā pose un regard sensible et critique sur les matériaux, proposant des récits où les ressources naturelles ont voix au chapitre.

Né.e
Smithers, Canada
Pays / Nations
Tāłtān, Canada
Vit
Vancouver, Canada
Site Web
tsema.ca

Œuvres

De la terre

Le corpus Great Bear Money Rock s’inscrit au sein d’un vaste projet de recherche mené par Ts̱ēmā et Siddall sur Port Radium, une mine désaffectée aux abords du Grand lac de l’Ours, dans les Territoires du Nord-Ouest. Les effets radioactifs de l’uranium extrait de la mine, officiellement fermée depuis 1982, se répercutent pourtant toujours dans la communauté Dénée qui vit sur les rives du lac. En 2019, les artistes se rendent à Délı̨nę en région sahtu – à 265 kilomètres de la mine – et y collectent plusieurs éléments matériels, sonores et visuels, édifiant dès lors les bases du projet. Avec deux articulations thématiques, l’une à la Galerie de l’UQAM et l’autre à VOX, Great Bear Money Rock retrace l’imbrication du territoire et de la vie des communautés autochtones locales. À la Galerie de l’UQAM, l’installation Great Bear Lake is the Boss compose un jardin de cristaux récupérés sur le site de la mine et encapsulés dans des bulles de verre afin d’en contenir la faible radioactivité. Bien que fragile, le verre joue ici un double rôle de protection, nous sauvegardant d’un contact avec le minerai et préservant dans son écrin translucide le territoire, menacé par l’activité humaine. Des impressions grand format déposées sur des structures rocheuses montrent des amoncellements de pierres recouvrant la mine abandonnée. Archivés par Ts̱ēmā et Siddall au cours de leur traversée du Grand lac de l’Ours, des enregistrements sonores viennent baigner ces paysages rocailleux. Retraçant les récits conservés dans les eaux du lac ou dans les roches qui jonchent le paysage, Great Bear Money Rock exhibitse l’imperceptible, ce qui échappe à nos sens, mais dont les effets n’en demeurent pas moins profondément physiques.

En collaboration avec la Toronto Biennial of Art

Futurs ruisselants

À VOX, l’installation The Lake is a Cup envisage les propriétés mémorielles de l’eau. Tournées par Ts̱ēmā et Siddall et projetées à travers une bouteille d’eau posée en équilibre sur un long prisme étroit, des vues de la mine fantôme, de Délı̨nę ou du lac se dédoublent. Puisée à même le Grand lac de l’Ours, l’eau réfracte le faisceau lumineux, multipliant de manière kaléidoscopique les images du film. À l’instar de la substance liquide, mais aussi des corps, le film emmagasine à son tour la radioactivité. L’activité du projecteur baigne l’installation de sonorités mécaniques, sa cadence presque organique nous ramenant constamment dans notre corps. Retraçant les récits conservés dans les eaux du lac ou dans les roches qui jonchent le paysage, Great Bear Money Rock exhibitse l’imperceptible, ce qui échappe à nos sens, mais dont les effets n’en demeurent pas moins profondément physiques.

En collaboration avec la Toronto Biennial of Art

Cristaux liquides

Avec Emergence, Ts̱ēmā met en scène des spécimens d’obsidienne provenant du mont Edziza, situé au nord-ouest de ce que l’on nomme aujourd’hui la Colombie-Britannique, sur le territoire ancestral du peuple Tāłtān, auquel l’artiste appartient. Ce minéral, roche volcanique riche en silice, revêt une signification toute particulière pour Ts̱ēmā, car il porte en lui la mémoire vitrifiée de ses ancêtres, de leur mode de vie et de leur culture matérielle. L’usage de l’obsidienne était en effet répandu sur ces terres bien avant la colonisation européenne. La pierre possédait une importante valeur d’échange, servant notamment à l’artisanat et à la confection d’outils et d’armes. Très prisé pour sa dureté, sa résistance et son apparence brillante unique, le précieux minéral fait l’objet d’une extraction minière depuis des milliers d’années dans la région. Avec Emergence, l’artiste s’intéresse aux propriétés esthétiques de l’obsidienne, qui se décline dans un grand éventail de couleurs en fonction de sa composition minéralogique. Sous la forme d’une installation, les portraits d’obsidienne se conjuguent aux paysages urbains de façon à raconter une histoire humaine et géologique complexe reflétant à la fois les héritages autochtone, colonial et capitaliste que renferme la pierre. Saisissante et énigmatique, la présence fantomatique de ces masses sculpturales aux éclats iridescents et aux contours acérés opère telle une apparition sublime venue des temps immémoriaux. L’œuvre mise sur le pouvoir d’attraction qu’exerce sur l’humain·e ce minéral dont l’aspect oscillant entre la roche et le verre lui confère l’aura d’un être mystérieux. Après tout, l’existence même de l’obsidienne résulte d’une rencontre inouïe entre deux matières antagonistes : le choc, au cours d’une éruption volcanique, de la lave en fusion avec des masses de glace.